Analyse(s) :
Principalement réalisée selon la technique du crachotis à la bombe noire, cette fresque est composée d'une accumulation d'éléments figuratifs.
Outre les petites interventions qu'il avait réalisées à la fin de l'année 2012 au niveau n°2 et dans l'escalier n°2, Dran n'avait pas peint depuis deux ans lorsqu'il a réalisé cette fresque. Il réalise ici, dans une narration confuse au premier abord, un autoportrait sombre et cauchemardesque qui témoigne d'une période personnelle difficile.
La fresque, qui relève plus du dessin que de la peinture, révèle une accumulation de pensées sombres où chaque détail renvoie à un évènement vécu ou ressenti par l'artiste.
Entretien(s) :
"Nous avions choisi pour Dran ce mur brut particulièrement accidenté, en référence aux interventions d'urbex-writing qu'il réalisait quelques années auparavant. Après une longue discussion où Sowat et moi tentions d'encourager Dran à se remettre à peindre, il a d'abord réalisé sur plusieurs morceaux de polystyrène une première intervention que nous avons intégrée au projet Vandalisme Invisible.
Il nous a ensuite demandé à rester seul dans cette zone. Lorsque nous sommes revenus, il avait commencé un personnage au centre du mur, un autoportrait particulièrement sombre, avec un œil crevé, qui dessine sa propre main.
Dans la mesure où il n'a pas dessiné depuis deux ans, le personnage n'arrive plus à dessiner la main tandis qu'un arbre pousse du crayon.
A droite, un bâtiment représente son atelier sur lequel le mot "LIFE" est barré, signifiant qu'il n'arrive plus à être créatif dans cet atelier.
Une chouette posée sur l'atelier évoque l'impression d'enfermement qu'il ressent chaque nuit passée dans ce bâtiment.
Dran évoque également ses problèmes de cœur avec la fumée qui s'échappe de la cheminée, se transformant en une femme dotée d'une langue en forme de serpent.
Une sorte de matière visqueuse s'échappe de la droite du bâtiment et rejoint une bombe vêtue d'une camisole en référence aux rumeurs qui propagent l'idée que Dran est devenu fou.
Devant l'atelier, un sablier transforme des palmiers en une matière noire représentant la mort qui rejoint un bras dont les veines sont sectionnées et où une fleur pousse dans la main.
Sur la gomme est inscrit "CTRL Z" qui correspond à la commande informatique "effacer", renvoyant à l'humour typique qu'on lui connait.
La dent qui s'échappe avec son petit baluchon évoque une récente bagarre dans laquelle Dran s'était cassé une dent.
Sur la chevelure du personnage principal, on voit une interprétation du radeau de la méduse avec un pinceau en guise de mât et dans lequel se trouve un chat dont l'œil droit est en fait un rivet métallique qui se trouvait fixé dans le mur.
Un gros rat, dont les yeux sont figurés par des chats, tient dans sa main une bombe de peinture de laquelle s'échappent des bulles qui se transforment en ampoules. Dans l'une de ces ampoules, on reconnait Dran en train de dessiner sur un bureau.
Toujours dans ce radeau, un petit rat envoie une bouée de sauvetage à un autre rat en train de se noyer. Cela fait référence au fait que Banksy vient de temps en temps en aide à Dran lorsqu'il se trouve en difficulté.
Sur la partie gauche de la chevelure, l'arbre généalogique de Dran est en train de brûler, en référence à l'incompréhension de son entourage vis-à-vis de ses choix.
En bas à gauche du mur se trouve le labyrinthe de la vie vis-à-vis duquel Dran, représenté par un petit personnage qui refuse d'y entrer, préfère emprunter le train qui fonce dans un mur, dessiné juste au-dessus.
Pinocchio, dont le nez est ici figuré par une excroissance qui sort du mur, est un personnage récurent dans l'œuvre de Dran. Il vient résumer toute cette histoire, portant sa croix tandis que ses pieds sont bloqués dans le béton.
Dran préférant garder certaines choses pour lui, plusieurs éléments sont restés sans explication, comme cette tortue faisant de l'autostop devant les points cardinaux d'une boussole ou le personnage qui se cache les yeux, la bouche et les oreilles au centre de la chevelure du personnage principal.
D'abord satisfait de cette fresque, Dran, craignant d'avoir réalisé quelque chose de trop sombre qui ne plaise pas à Jean de Loisy (alors président du Palais de Tokyo), a voulu revenir mettre de la vie dans sa fresque en ajoutant des éléments en couleur. L'idée était de montrer qu'une vie pouvait renaître de toute cette noirceur qu'il avait peinte. Lek, Sowat et moi l'avons contraint de ne pas le faire, considérant que cette renaissance se fera par les prochains tableaux qu'il allait peindre.
Jean de Loisy est quand à lui venu féliciter Dran pour ce qu'il venait de réaliser, lui indiquant que sa fresque était fabuleuse et qu'il voulait le réinviter par la suite, ce qu'il fera au mois de septembre 2014 à l'occasion de l'exposition "INSIDE"."
Sources : Entretien avec Hugo Vitrani réalisé par Nicolas Gzeley le 21 avril 2021