Analyse(s) :
Cet accrochage présente 14 sérigraphies en couleur de Jacques Villeglé, toutes composées des lettres de son alphabet socio-politique (qu'il développe dès 1969), de symboles et de représentations figuratives. L'artiste détourne des idéogrammes politiques dans ses œuvres, cryptant ainsi les mots et phrases avec un graphisme impactant. Ces signes et symboles sont tirés de la culture populaire et des messages vernaculaires qu'il observe dans les rues.
La sérigraphie "Structure civilisation lacération mouvement publicité motivation" est datée du 12 mars. Chaque lettre est singulière par sa fusion avec un signe et chaque mot est dessiné d'une couleur différente (noir, gris, vert, orange, marron, jaune), produisant un fort contraste.
Jacques Villeglé développe à partir de 1989 une recherche sur les « carrés magiques » qui s’inspirent à la fois des mathématiques, de la tradition artistique ou littéraire. Une série de 10 sérigraphies sur cette thématique étaient exposées :
"Syncrétisme Cryptographique" est datée du 20 février 2014. Elle présente divers éléments, dont un abécédaire de son alphabet socio-politique à gauche, au dessus du titre de l’œuvre. Une série de chiffres inscrits sur un liseré bleu encadre la composition.
À l’arrière plan est dessiné un cercle bleu contenant les contours d'une étoile à 5 branches de la même couleur, sur laquelle se mêlent différents éléments. Au croisement des différentes branches est placé une forme géométrique trapézoïdale en volume. En haut à gauche, un écusson d'armoirie fait face au mot "Yes", dont chaque lettre illustre une devise monétaire : le "Y" reprend le Yen (¥), le "E" l'euro (€) et le "S" le dollar ($).
Entre les deux, un triangle bleu dans un carré rouge, lui même dans un cercle bleu, reprend l’œil et le chiffre 3, évocation de la Franc-maçonnerie.
La partie à droite propose 3 carrés magiques de différentes tailles. Le plus grand est appelé "carré SATOR". Il contient le palindrome latin "SATOR AREPO TENET OPERA ROTAS", dont la plus ancienne représentation à Pompéi daterait de l'an 79.
Le second carré magique, carré "Melencolia", ne contient que des nombres. Il est attribué au peintre et graveur Albrecht Dürer, dont un exemple est visible dans sa gravure "Melencolia" (1514).
Le plus petit est le "Carré de Satan", aussi appelé "carré panmagique" ou "carré pandiagonal", dans lequel la constante "34" peut être trouvée de 86 manières différentes.
À gauche de la composition, une grande calligraphie noire d'Hassan Massoudy est reproduite et signée, accompagnée du proverbe arabe : "Si ce que tu as à dire n'est pas plus beau que le silence, alors tais toi". Divers symboles et éléments figuratifs parsèment la composition : une échelle, une charrue à roue, un soleil, les chiffres 4, 5, 7 et trois flèches inspirées de la "Guérilla des signes" de Serge Tchakhotine.
En bas à droite se distingue le mot "tag" dont le "T" évoque une hache, le "A" comprend un flèche vers le bas et le "G", transpercé d'un marteau, forme un personnage de profil prêt à avaler la peinture qui sort de l'aérosol. Une main droite tient cette bombe de peinture orange sur laquelle est inscrit le mot "color". Sous ce dessin est noté "d'après Brit*, Le Monde, 12/10/1990".
Un autre cadre met en valeur une série de 4 dessins bleus, séparés par une Marie Louise, représentant 4 carrés magiques, tous incrustés dans un octogone :
Le premier, "carré de Satan", est traversé par un dragon dont le corps forme une spirale.
Le second rend hommage à l'écrivain Georges Perec et aux poèmes matriciels de son livre "Alphabets" publié en 1976. Nom propre, titre et date sont dessinés, ainsi que les années de naissance et de décès de l'écrivain et le mot "Oulipo" (mouvement de recherches littéraires de l'artiste). Perec rédige ses œuvres en s'imposant des contraintes formelles, littéraires ou mathématiques. Pour son ouvrage « Alphabets » auquel se réfère Villeglé, Perec écrit 176 poèmes de onze vers, et chaque vers contient onze lettres. Villeglé entoure le carré de 11 lignes et 11 colonnes par 4 symboles "€".
Le troisième, carré "SATOR", est entouré de dessins d'animaux et de lettre de l’alphabet grec .
Le dernier carré est le carré de la "Melencolia" de Durër", dont l'année "1514" est inscrite en bas. Les sommes de chaque ligne, de chaque colonne et des diagonales sont toutes égales à la constante "34", nombre inscrit à 6 reprises autour du carré magique. Aux extrémités, Villeglé a dessiné deux personnages nus (Adam et Eve), un triangle franc-maçon avec l'œil au centre, un écusson et ses armoiries et enfin les lettres en capitale"AD".
Quatre autres sérigraphies tricolores sont agencées de la même manière. Sur un papier blanc teinté d’un dégradé de peinture rouge se trouve un symbole peint en bleu - un serpent, le chiffre 34, une roue et la devise européenne "€" - placé respectivement en dessous des carrés bleus suivants : le carré de Satan, le carré de la Melancolia, le carré SATOR et le carré de Georges Perec. Chaque carré est entouré de dates, noms propres ou dessins les illustrant (des têtes de mort, des symboles géométriques, des animaux, des mots et dates).
Les deux autres sérigraphies en couleur sont intitulées "les Cryptographes" et "Le Bricolage Cryptographe". Les deux œuvres se répondent, la disposition des éléments étant similaires : signes politiques, religieux, idéologiques, monétaires, zodiacaux, maçonniques, pacifistes, militants, contestataires et guerriers. Les deux œuvres présentent 4 différents carrés magiques (cités ci-dessus) et un cinquième plus imposant au centre, comprenant 4 lignes et 3 colonnes.
Les deux dernières sérigraphies, datées de mai 2013, rendent hommage à Pierre l’Arétin (1492 - 1556), écrivain, poète, satiriste et dramaturge italien, considéré comme un des premiers critique d'art, dont le portrait est dessiné en haut à droite. Guillaume Apollinaire rédige en 1910 l'introduction et les notes de l’ouvrage " L’œuvre du Divin Aretin", dont Villeglé reporte un extrait, retranscrit ci-dessous:
"Un singulier cours d'eau à double pente coule dans le val que domine Arezzo: c'est la Chiana. Elle peut être donnée comme une image de ce Pierre dit l'Arétin, qui, à cause de sa gloire et de son déshonneur, est devenu l'une des figures les plus attachantes du xvie siècle. G. Apollinaire"
Sous cet extrait, Villeglé inscrit la citation de l'Aretin en français et en italien sur la sérigraphie à droite : " Ce n'est pas sans raison que j'ai comparé" - "non é senza motivo che ho fatto confronto" et ajoute les noms "Pietre l'Aretin à Pierre Restany", tissant ainsi des liens entre les deux critiques d'art.
Source : Thomasine Zoler