Analyse(s) :
Cette pièce est composée d’un lettrage principal “MESSAGE” posé sur un fond damier délimité en forme de bulles, surmonté de nuages. La structure du lettrage est fondée sur la composition d’un tag dont certaines formes - partie médiane des “S” qui remonte légèrement ou partie supérieure du “A” particulièrement courbée - rappellent le style des signatures de RCF1. Chaque extrémité des lettres est agrémentée de retours et d’empattements ainsi que de segments détachés en forme de rectangles et de demi-cercles typiques de l’école classique new-yorkaise. Il n’y a pas d’ajouts structurels aux formes des lettres, à l’exception d’une flèche qui part de l’extrémité supérieure gauche du “M”. Les contours de chaque lettre sont composés d’une alternance de courbes et d’angles de façon à obtenir un style homogène pour l’ensemble du lettrage. Le lettrage est inscrit en casse majuscule à l’exception du “A” inscrit en minuscule. Chaque “E” prend la forme d’un “3” à l’envers.
Les remplissages de cette pièce sont réalisés au fat cap Décap’four, le reste au cap d’origine, à l’exception du titre en haut à gauche “Le Message 2004” inscrit au cap biseauté des bombes de colle 3M. L’intérieur du lettrage est composé d’aplats et de dégradés ainsi que de formes aléatoires vaporeuses et de quelques bulles, certaines pleines, d’autres vides, exécutées selon la technique du crachotis. Ce remplissage rappelle les œuvres du new-yorkais Futura dont les dégradés entrecoupés de formes géométriques furent repris à Paris par Bando durant la seconde moitié des années 1980. L’intérieur du lettrage est réalisé dans un jeu de couleurs bleu, saumon, vert foncé, vert clair et rouge, avec quelques effets blancs en forme de bulles et de rectangles.
Une 3D rouge avec un point de fuite central vient donner de l’épaisseur au lettrage. Cette notion de volume est accentuée par des effets de lumière (highlights) blancs disposés de manière aléatoire, contrairement à l’usage qui veut que la lumière vienne du coin supérieur droit. Ces highlights sont renforcés à certains endroits par quelques points de lumière signifiés par des cercles vaporeux accompagnés de points blancs. Un double-contour blanc vient détacher le lettrage de l’arrière-plan en damier. L’ensemble est signé dans la partie inférieure gauche du “M” d’un tag “RCF1” de couleur pourpre, entouré d’un trait vaporeux en crachotis de couleur blanche. L’année est inscrite et soulignée en couleur pourpre dans la partie inférieure droite du second “E”.
Le damier en arrière-plan, typique des productions new-yorkaises du crew RTW, notamment du writer Zephyr, s’inscrit dans un nuage de bulles qui rappelle les cloud-pieces initiées par Phase2 au début des années 1970. Cet arrière-plan a pour but non seulement d’habiller la pièce, mais également d’effacer les tags déjà présents sur le support afin d’accentuer l’impact du lettrage. Le contour noir de ce nuage est agrémenté de petits traits courbés et parallèles empruntés à la bande dessinée qui viennent apporter une notion de mouvement vibratoire.
Des dédicaces pour France, Ringo, Moze, MGO, Psy, Fenx, Taz et Haribo sont inscrites en noir sur le damier, ainsi que le crew RW1 (pour Rainbow Warriors). La phrase “À tous ceux qui ont baissé les bras” est également inscrite en noir et, comme la signature de RCF1, entourée d’un trait vaporeux en crachotis de couleur blanche.
Sur la partie supérieure de la pièce se trouvent deux nuages signifiés par des dégradés et points bleus cernés d’un contour pourpre. Dans le premier est inscrit “Le Message 2004”. Dans le second, RCF1 a inscrit “Ne m’pousse pas je suis presque à bout, parfois j’ai peur de d’venir fou ! Hin-Hin-Hin-Hin…”, version française des paroles du titre The Message de Grandmaster Flash and the Furious Five sorti aux États-Unis en 1982 sous le label Sugar Hill Records.
Cette pièce, de par sa taille, son style, son contenu et le soin apporté à son exécution, est considérée par de nombreux observateurs comme l’une des plus belles que RCF1 ait réalisé sur un camion parisien.
Source : Nicolas Gzeley
Entretien(s) :
« J’ai peint ce camion à l’été 2004. Cela correspond à une période où j’étais assez actif dans les rues de Paris et où j’avais totalement arrêté de boire de l’alcool. Je m’étais imposé un rythme de trois throw-ups par semaine, je faisais beaucoup de tags et je peignais régulièrement les camions du marché de Barbès et j’allais courir quotidiennement, notamment sur le quai de l’Oise, le long du canal de l'Ourcq, où j’admirais les superbes camions de Moze qu’il peignait à cette époque. J’y retrouvais également certains des camions que j’avais peint en bas de chez moi. À cette époque, je peignais délibérément seul afin de ne pas subir l’insistance ou l’influence d’un partenaire. J’avais, concernant la peinture, un besoin d’indépendance, un désir de liberté me permettant d’aller peindre à l’envie. C’est la raison pour laquelle je posais moins le nom de mon crew P2B qui correspond à mes yeux à une énergie collective.
Ma technique pour peindre les camions était la suivante : de ma fenêtre, j’observais chaque veille de marché les camions se garer aux alentours du marché de Barbès, notamment sur le pont du boulevard de La Chapelle qui passe au-dessus des voies ferrées de la ligne Nord. Je descendais alors en vitesse pour suivre discrètement le conducteur. S’il s’engouffrait dans le métro, je disposais de quelques heures au minimum pour peindre son camion avant qu’il ne revienne. J’installais mon escabeau sur le trottoir plongé dans l’obscurité, dans l’ombre du camion éclairé depuis le trottoir d’en face et je commençais ma pièce. Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui mais à cette époque, le quartier était animé d’une certaine faune composée de toxicos et de cailleras qui pouvaient largement compliquer la tâche. Le danger venait plus de l’insécurité environnante ou du propriétaire du camion que des flics qui se foutaient complètement du graffiti, du moins jusqu’à 22 heures, lorsque la BAC de nuit commençait ses rondes.
Ce 4 juin 2004, lorsque j’aperçois depuis ma fenêtre ce gros camion blanc se garer sur le pont, je saisis l’occasion et me précipite aux trousses du conducteur. Trois jours auparavant, j’avais participé au clash vidéo Wild War organisé par Karim Boukercha. Il s’agissait de réunir deux writers afin qu’ils peignent un mot imposé par ce dernier, avec vingt bombes de couleur elles aussi imposées et dévoilées au dernier moment. Je m’étais ainsi mesuré à Psyckoze autour du mot “ALIEN”. N’ayant pas utilisé toutes les bombes fournies par Karim, je disposais alors d’un stock de bombes suffisant pour peindre une grosse pièce. Je voulais faire un lettrage plus conséquent qu’un RCF1, j’ai donc choisi l’esquisse d’un “MESSAGE”, dessinée le jour même en écoutant le titre du même nom de Grandmaster Flash ou Cymande.
Sur les coups de 19 heures, je me retrouve donc sur mon escabeau à peindre le flanc de ce camion suivant un protocole immuable : mes bombes sont rangées dans l’ordre de leur utilisation (esquisse, intérieur, contours, fond, highlights), une technique de “trainiste” qui permet, si je suis interrompu, que mon lettrage paraisse au mieux terminé, au moins lisible. Dès lors que je me lance, je suis en apnée, comme dans une bulle. Une montée d’énergie d’une heure, sans recul, puis je reprends mon souffle, je fais quelques pas en arrière et j’observe le résultat. C’est à ce moment que j’inscris la phrase du morceau de Grandmaster Flash, traduite ici en français, qui prend tout son sens dans ce quartier marqué par la misère : “Ne m’pousse pas je suis presque à bout, parfois j’ai peur de d’venir fou !”. Le gimmick “Hin-Hin-Hin-Hin” souligne la référence à ce morceau mythique de la culture hip-hop. J’ajoute ensuite “À tous ceux qui ont baissé les bras”, hommage ironique aux writers qui délaissent alors la rue pour une potentielle carrière artistique, tournant le dos à une pratique libre, altruiste et passionnée.
Ce lettrage “à la new-yorkaise” est réalisé à partir de mon alphabet habituel, avec l’énergie d’un tag, et peut-être une influence de Barry McGee (Twist) dont on découvrait alors les lettrages dans les fanzines de cette époque. L’influence de Zephyr sur mon style est également assez visible. On le voit notamment aux nuages et au damier en arrière-plan. On voit sur la droite de mon lettrage que j’ai pris soin de ne pas recouvrir la plaque PTAC, immatriculation des mines indispensable au propriétaire en cas de contrôle. Cette pièce est dédicacée à ma copine France, mon chat Ringo, mes potes Moze, MGO, Psy et Fenx ainsi qu’à Taz et Haribo dont j’ai probablement recouvert les tags.
Vers 20 heures, 20 heures 30, je rentre chez moi poser mes bombes et je redescends prendre les photos, puis d’autres le lendemain sur le marché de Barbès. J’ai souvent revu ma pièce sur ce marché ou sur ceux de Belleville et Ménilmontant ainsi qu’à travers Paris, sûrement en direction du marché d’Aligre. Puis elle a disparu, intégralement recouverte ou partie vers d’autres horizons. »
Sources : Entretien avec RCF1 par Nicolas Gzeley, le 14 juillet 2022.